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Curieuses cités
15 mars 2009

Le rôle de sa vie.

Après un long silence, je reprends un peu de service sur le blog car j'ai peu de temps pour écrire en ce moment. C'est du film de Philippe Lioret, Welcome, dont j'aimerai vous parler. Il y aurait fort à dire sur la triste réalité qu'il décrit, puisqu'il se passe dans le Nord, pas celui des chtis mais celui des clandestins, des camps de rétention. Pas très gai, comme je vous le disais, mais d'une actualité plus que criante à l'heure où Besson, Eric pas Luc, offre des papiers aux sportifs hors pair qui viendront accroître le nombre de médailles françaises aux prochains JO, certainement. Triste France. Liberté, égalité, fraternité ont les ailes bien plombées, semble-t-il.

Moribondes, elles ne sont cependant pas tout à fait mortes et enterrées, comme en témoigne ce docu-fiction brillamment porté par Vincent Lindon. Il incarne Simon, ex-champion de natation désormais maître nageur à Calais et en instance de divorce avec Marion, bénévole dans une association d'aide aux réfugiés. L'intrigue se nous dans un supermarché dont deux clandestins se voient refuser l'accès. Comme dirait un voisin bien intentionné: "ils ne se lavent pas, ils ont la gale et seraient même un peu pédés sur les bords." Ou comme dirait le juge autrement: "c'est pas parce qu'il y a la guerre chez vous qu'il faut venir ici". Ah bon?

Et effectivement, c'est bien traverser la Manche qu'ils sont là. Bilal, notamment, qui  est sorti d'Afghanistan accroché sous un train, a parcouru 4000 bornes à pieds pour aller rejoindre la douce et belle Mina, après s'être fait torturé par la police turque. Ce n'est certainement pas les autorités françaises qui rattraperont le coup, car c'est à coup de gaz lacrimogènes et de matraques qu'elle force les soupes populaires à plier bagages et les réfugiés à retourner se cacher dans leurs bidonvilles.

Après une première tentative malheureuse, Bilal décide qu'il traversera la Manche à la nage.  Son inscription à la piscine pour apprendre à nager le crawl en vue d'une  épreuve de plus de dix heures dans des eaux froides et dangereuses le font croiser la route de Simon. Pour ce dernier, c'est le début de la transformation. Prêt à tout pour récupérer Marion, il décide d'abord d'héberger Bilal et son ami que Marion croisera chez lui le lendemain matin. Sidérée par son inconscience elle le met en garde, mais la machine est lancée. La première convocation au poste intervient aussitôt.

Bilal reste assidu à ses cours de natation; la ténacité du champion l'anime. Simon reprend pieds dans son trouble sentimental. La funeste lâcheté de l'ancien amoureux (é)perdu cède la place au tragique entêtement d'un homme d'action. On a souvent vu Vincent Lindon dans ce rôle d'ex désorienté. Peu l'incarnent aussi souvent ,et par conséquent bien, que lui dans le cinéma français. Ces bases, solidement ancrées dans notre inconscient spectatoriel, constituent un véritable ferment pour l'interprétation qu'il donne ici; car au-delà du personnage, c'est finalement l'homme qu'on trouve. Enfin... Merci Lioret. Non seulement l'homme, mais l'humain. Puisque Simon apprend à connaître Bilal et l'aide sincèrement.

Il me semblerait abusif de parler ici d'amitié entre les deux hommes. Leur attachement est autrement plus complexe. Pour Bilal, Simon est celui qui l'aide mais qu'il ne veut pas mettre en danger. Il reste donc dans son ombre. Si leurs rapports sont originellement déséquilibrés du fait de leur environnement politique  (le français / le clandestin), ils sont plus nuancés d'un point de vue affectif. Autrement dit: une fois les frontières effacées. Car Bilal est l'écran des projections de Simon. Il l'admire, d'une manière à peine avouée ,d'oser rattraper celle qu'il aime, ce en quoi lui-même a échoué avec Marion huit mois auparavant. C'est Bilal aussi qui arrivera à moins de 800 mètres des côtes britanniques, alors que le champion Simon n'a pas couru les JO de 1984 pour d'obscures raisons.

Dans le film, un objet signifie largement cet effet de double: la combinaison de plongée. Elle représente en effet une peau de gagnant, à revêtir. Ce que fera Bilal, deux fois, et Simon, plus. La combinaison participe aussi du système de circulation bâti autour des objets: Simon la fournit à Bilal, il ne la récupèrera pas. Par contre, après la noyade du jeune homme: une bague de Marion, qu'il lui avait offerte pour Mina, et sa médaille d'or, volée par le compagnon de Bilal, lui seront restitués. Dans de petits sachets de plastique, de la même manière qu'a été renvoyé le cadavre de Bilal par les autorités britanniques.

welcome_hautLe sac, de plastique notamment, revient sous diverses déclinaisons pour rythmer l'épopée du jeune Afghan. Instrument de torture traumatique en Turquie, où Bilal dit avoir passé huit jours la tête dans un sac. Masque suffoquant pour retenir le CO² dans le camion du passeur lors des contrôles douaniers. Objet de transport de la combinaison que lui remettra Simon. Et linceul finalement.

Seule la médaille restera, puisque Simon rendra la bague perdue à Marion sans avoir pu l'offrir à Mina. La médaille matérialise autant qu'elle cristallise la fin des rêves. Les anciens espoirs de Simon, la terre promise et l'amour de Bilal. Les choses ont pris une nouvelle place. Elles chapitrent un itinéraire personnel, seuls restes après la disparition des corps: de Bilal dans le cercueil, puis de Simon lors du fondu au noir final.

Imperceptiblement esthétisée au sein d'une intrigue des plus sombres, la dissolution du charnel vient signaler la survivance de valeurs transcendantes. La liberté d'agir selon sa propre humanité au-delà de lois inappropriées. L'égalité de tous dans le ressenti amoureux. La fraternité comme moteur de l'existence. Simon-Lindon les porte jusqu'à l'épuisement de toutes les possibilités de l'incarnation physique. C'est bien en cela qu'on ne peut que saluer la mise en scène Philippe Lioret, au-delà de sa  courage et pertinente dénonciation de notre politique actuelle.

En effet, montrer pour dénoncer est un premier acte nécessaire. Mais dépasser la monstration pour dégager l'horizon positif (et non pas optimiste) derrière le scandale est une gageure. C'est le tremplin offert  à la société des spectateurs par l'engagement intime d'un artiste dans son monde.

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Commentaires
T
"Imperceptiblement esthétisée au sein d'une intrigue des plus sombres, la dissolution du charnel vient signaler la survivance de valeurs transcendantes." vachte, ça c'est du pur et dur.....
B
Autant le fermer ton blog cocotte
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