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Curieuses cités
30 janvier 2009

La nullité en toute impunité.

Quels gym_pour_les_nulsque soient votre consommation de livres ou votre taux de fréquentation des librairies, vous avez certainement déjà aperçu, voire même feuilleté, l'un des volumes de la collection "Pour les nuls". Il se pourrait même qu'on vous en ait offert un, avec un sourire à la fois bonhomme et compatissant au coin des lèvres. Et il se pourrait même, aussi, que vous vous soyiez vous-même rué sur l'un de ces ouvrages. En ce qui me concerne, je n'y vois aucune honte, et cela pour plusieurs raisons.

A vrai dire, la nullité est un sentiment que je ressens quotidiennement au sujet de quantité de choses plus ou moins importantes. L'un des clous de mon panthéon personnel est le produit en croix. C'est une opération totalement irréalisable pour moi, même à 26 ballets avec mon bac+7! Par ailleurs, je crois qu'avec la surexposition marchande à laquelle nous sommes en proie quotidiennement, craquer pour un bouquin inutile n'est pas si grave. Vous avez, par exemple, investi la modique somme de 22,90€ dans Gym et musculation pour les nuls (déposé le 29 janvier 2009) et vous vous rendez compte que gym et musculation sont incompatibles avec votre humeur. Imaginez, si vous vous étiez abonné à un club de sport: vous auriez été grognon toute l'année à ruminer ça. Alors que procurer une seconde vie à ce malheureux bouquin peut certainement détendre vos sigomatiques, ne serait-ce qu'une journée. A titre d'exemple: vous pouvez le refourguer au cousin Robert qui prend sa retraite en mars prochain, et qui se trouve flanqué d'une bedaine pas trop sexy depusi qu'il a fêté son quarantième printemps. Ou, si vous n'abandonnez pas définitivement toute perspective sportive: vous pouvez caler votre simili armoire normande Ikéa, dangeureusement branlante depuis les dernières soldes...Bref, un infini champ des possibles se déploie devant vous.

Un peu comme celui ouvert par cette fameuse collection "Pour les nuls", que l'on pourrait comparer à un  raz-de-marée éditorial, puisqu'on recense près de 400 titres parus à l'heure actuelle.  Des accords de guitare à l'informatique dans toutes ses déclinaisons, sans oublier la mythologie, les langues vivantes, la peinture à l'huile, les aquariums, le socialisme, l'histoire, le vin, la comptabilité, le développement personnel, le code de la route, Paris rive gauche ou droite, le bac: c'est bien simple, tout y passe. Une conclusion s'impose: au XXIe siècle être nul n'est plus une fatalité. J'espère que tout le monde mesure bien l'implication de ce genre d'affirmation. 

Mais d'abord, quelques éléments contextuels. En France la publication de cette collection, caractérisée par une affreuse couverture noire et un titre jaune, remonte à 1993. Jusqu'en 1996, les titres se concentrent sur la maîtrise de l'informatique. Cette année-là paraissent des opus dédiés au jardinage, au vin, au golf et à la cuisine, et s'amorce alors une mutation de la ligne éditoriale. La prépondérance des thèmes liés à l'informatique persiste jusqu'en 2004 environ, quand s'intensifie l'éclatement encyclopédique de la collection. Depuis 2005 c'est un véritable feu d'artifice thématique. Effets induits: 1° on a le droit d'être nul 2° en tout.

C'est sûr, c'est rassurant "dans une société qui place toujours la barre plus haut", etc, etc. Ca réconforte d'avoir son périmètre de nullité autorisée.  Il y a tout ce côté édition de masse, qui fait qu'on se sent vraiment moins seul à être une bille en aquarelle. Et puis acheter ce genre de livre est déjà faire un pas vers la rémission. Je vois déjà un plateau de Delarue ou un C'est mon choix: "Un jour ils ont été nuls...et maintenant ils cartonnent en tricot".  Plutôt juteux comme marché, entre autres pour l'éditeur dont notera le nom évocateur: First.

Mais quand la nullité devient un marché, et non plus un de ces vecteurs (ex: le Bigdil de Lagaf), n'y a-t-il pas des questions à se poser? Depuis le début du siècle, on tente de démocratiser la culture. Ici, renversement de la tendance : démocratisons la nullité en toute impunité. Parce qu'à force de diversifier les titres de cette collection "Pour les nuls" on finira bien par être tous catalogués, par nous-mêmes ou par d'autres, comme "nul en...". On pourra peut-être même l'inscrire sur notre CV. La nullité comme distinction paraît un concept économique plein d'avenir, puisqu'elle produit finalement une harmonisation des besoins via une assimilation.

Après tout, je me prends peut-être la tête pour pas grand chose. Personne ne me force à acheter des livres pour les nuls et je m'en garde bien d'ailleurs. Mais, c'est plus fort que moi: cette (omni)présence éditoriale me contrarie. Le bouleversement dans ma vie a été infinitésimal, mais tout-de-même identifiable. Avant, je vivais ma nullité en toute quiétude, un peu comme dans un fauteuil en charentaises. Me vautrer ainsi dans ma nullité me situait dans un espace de non-performance sociale. Bien sûr ce sentiment ne m'est pas devenu totalement étranger, loin de là. Dans certains domaines, je brandis ma nullité comme un étendard. J'applique même parfois une détermination notoire à devenir encore plus nulle qu'avant, en cuisine par exemple. Pour moi, être nulle et le rester constitue un véritable luxe. Mais, j'avouerai qu'il se trouve un peu gâté par l'ombre de la culpabilité quand je passe dans une librairie: dire que je suis nulle et que je ne fais rien pour m'en sortir...

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Commentaires
B
Oui, un jour j'ai pour ma part feuilleté "photoshop pour les nuls"<br /> Et je dois dire que ce genre de bouquin c'est de l'arnaque pur et simple<br /> <br /> Je suis toujours aussi nul à photoshop.....
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